[Portrait #2] Élisa Bérard, Du carton peint à la tapisserie. Un siècle de création à la Manufacture royale des Gobelins au XVIIIe siècle (1699-1794).

Entretien avec Élisa Bérard, doctorante contractuelle de première année en charge d’une mission d’enseignement, sous la direction de Christine Gouzi à Sorbonne Université dont la thèse porte sur la Manufacture royale des Gobelins au XVIII^e siècle.

Bonjour Elisa ! Pourrais-tu nous présenter ton parcours ?

Bonjour ! J’ai débuté ma formation universitaire par une licence d’histoire de l’art et archéologie en 2017 à Paris I Panthéon-Sorbonne. En troisième année, j’ai décidé de m’orienter vers l’histoire de l’art avec une spécialité en Temps Modernes. En 2019, j’ai intégré Sorbonne Université (anciennement Paris IV) en master 1 Création, Diffusion, Patrimoine, sous la direction de Christine Gouzi. Ces deux premières années de master furent troublées par la pandémie Covid-19 et mes changements de sujet de mémoire. En deuxième année de master, j’ai travaillé sur l’artiste Gabriel Briard (1725-1777), élève de Charles Joseph Natoire et peintre de l’Académie royale de peinture et de sculpture. Après l’obtention de mon diplôme de master recherche, je me suis orientée vers le master professionnel Préparation aux concours du patrimoine de Sorbonne Université. Par la suite, j’ai obtenu un contrat doctoral à Sorbonne Université ainsi qu’une mission d’enseignement en 2023, année de ma première inscription en doctorat.

« Du carton peint à la tapisserie. Un siècle de création à la Manufacture royale des Gobelins au XVIII^e siècle » : comment en es-tu arrivée à choisir ce sujet ?

Déjà engagée dans la réflexion d’un potentiel sujet de recherche, j’étais en stage au Mobilier national en 2022, institution qui a pour mission de meubler les bâtiments officiels de la République française, qui rassemble les manufactures nationales et assure la conservation et la restauration de ses collections. J’étais chargée, entre autres, de récoler les cartons peints anciens et contemporains des manufactures de Beauvais et des Gobelins. Ma tutrice de stage Clara Terreaux, conservatrice chargée des collections des cartons peints datant d’avant 1870, m’a proposé de travailler sur les cartons et les peintres-cartonniers de la Manufacture royale des Gobelins au XVIII^e siècle. Ainsi, en accord avec ma directrice de recherche, j’ai commencé à évaluer les sources permettant son étude et la production scientifique à laquelle il a donné lieu. Cette première approche m’a permis d’envisager une étude de l’organisation et de l’administration de la Manufacture ainsi que le processus de création d’une tenture : du carton peint à la tapisserie, de l’Académie royale de peinture et de sculpture aux ateliers des lissiers des Gobelins. Je trouve ce sujet particulièrement stimulant. Il me permet d’aborder sur une longue période une multitude d’acteurs et de médiums dans un contexte de profondes mutations, tant artistique que politique. En effet, la production de la fin du règne de Louis XIV à celle de la période révolutionnaire en passant par la Régence et le règne personnel de Louis XV soulève des problématiques différentes en fonction des époques. De plus, ma thèse permettra d’effectuer une synthèse clarifiée et actualisée des enjeux et de la production de l’une des manufactures les plus influentes d’Europe au XVIII^e siècle.

Quelles sources mobilises-tu pour traiter ce sujet ?

Entre 1699 et 1794, plus d’une quarantaine de tentures ont été tissées et plus de deux cents sujets ont été commandés aux Gobelins. La compréhension du processus de création de ces tentures s’appuiera à la fois sur l’étude des tapisseries et des cartons peints, comme témoins matériels des mutations de la Manufacture des Gobelins. Toutefois, ce sont surtout les archives qui constitueront la base de mon doctorat, autant aux Archives nationales qu’il s’agisse des sites de Paris ou de Pierrefitte-sur-Seine, qu’au Mobilier national ou encore à la Bibliothèque nationale de France. Les mémoires d’artistes et de contemporains apporteront également un éclaircissement supplémentaire sur les différentes étapes de création dans les ateliers et les évolutions des techniques. Enfin, je m’appuierai sur les registres d’acquisitions de certaines institutions, les journaux et les guides du XVIII^e siècle.

Quels sont les enjeux et les nouveautés soulevés par tes recherches ?

L’étude de l’histoire artistique et institutionnelle de la Manufacture royale des Gobelins est intimement liée aux circulations humaines et matérielles dans l’Europe du XVIII^e siècle. Ma thèse pourrait permettre une meilleure appréhension de l’organisation administrative et financière de la Manufacture et porte des questions d’ordre patrimonial relatives aux cartons peints. Cette étude sera l’occasion d’observer l’évolution des cartons, compris et analysés à la fois comme outils de travail et œuvres d’art, et permettra de réfléchir au statut de leurs auteurs au cours du XVIII^e siècle. L’un des enjeux soulevés par mon étude rejoint le traitement contemporain de ces œuvres : de leur présentation au public au sein des institutions aux problématiques que soulèvent la restauration de tels médiums. Enfin elle questionnera le regard singulier porté sur les cartons qui étend les bornes du champ patrimonial.

Tu es en 1^ère année : quelles sont tes pistes actuelles pour la suite de ton étude ?

Afin de cadrer mon étude et son avancée, je me suis fixée des objectifs à atteindre pour cette première année. En premier lieu, il est nécessaire de mesurer toute l’étendue des publications relatives à mon sujet : articles, colloques, catalogues d’exposition, livrets. Dans un second temps, mon ambition est de rassembler au sein d’un corpus classé par tenture l’ensemble des œuvres connues et localisées se rapportant à mon objet de recherche : arts graphiques, peintures, cartons peints, tapisseries. Enfin, le dernier objectif, et sûrement le plus important de cette année, consiste à consulter les différents fonds d’archives et la documentation de plusieurs institutions, en commençant par ceux du Mobilier national.

Ton stage et tes recherches au Mobilier national ont dû te permettre de faire des rencontres marquantes. Tu peux nous en parler ?

En effet, j’ai été particulièrement marquée par mes rencontres au Mobilier national, tant dans le service de l’Inspection que de la Régie, au sein des différents ateliers ou encore auprès des restaurateurs détachés. Plus particulièrement, j’ai eu le plaisir de côtoyer Clara Terreaux, inspectrice des collections des cartons peints anciens et Marie-Hélène Bersani, inspectrice des collections de cartons peints contemporains avant 1964 et ancienne directrice du département de la production textile au Mobilier national. Chacune à leur manière, elles m’ont permis de travailler mes connaissances, mes réflexions et mon œil sur les cartons et la tapisserie. Le travail de récolement sur les cartons, leurs restaurations ainsi que les visites des ateliers des lissières et l’observation attentive de leur travail m’ont aidé à me saisir des questions techniques, iconographiques et esthétiques relatives à ces œuvres. Par ailleurs, je reste encore aujourd’hui en étroite relation avec cette institution et le service de l’Inspection qui m’accompagne dans la poursuite de mon étude.

Une anecdote à nous raconter sur tes recherches en master ?

Oui, c’était en deuxième année de master recherche, mon sujet portait alors sur Gabriel Briard, peintre du XVIII^e siècle. Le principal problème qui s’opposait à l’avancée de mon étude était l’absence d’œuvres conservées de l’artiste en raison des pertes et des destructions. J’ai dû m’appuyer sur le travail d’autres peintres, sculpteurs et architectes de la même période ayant été en relation avec le peintre que j’étudiais. Par ce biais, j’ai pu rendre visite à une historienne de l’art et découvrir qu’elle possédait une esquisse préparatoire non attribuée du morceau de réception de 1768 de Briard. Grâce au recoupement de plusieurs sources, j’ai pu attribuer cette esquisse à Gabriel Briard : elle constitue l’une des rares œuvres peintes conservées de l’artiste aujourd’hui.

Quels sont tes projets professionnels ?

Mes deux années de préparation au concours du patrimoine m’ont permis d’acquérir à la fois une expérience professionnelle à travers des stages et des rencontres ainsi qu’une méthodologie de travail efficace dans le but de présenter le concours de l’Institut national du patrimoine. Toutefois, ces deux années m’ont fait prendre conscience de la réalité du métier de conservateur et du peu de temps qu’il était possible de consacrer à la recherche une fois en poste. Cette observation constitue l’une des raisons qui m’a conduite à m’engager dans la voie du doctorat. D’une part, je souhaitais avoir l’occasion de consacrer un temps conséquent à la recherche. D’autre part, l’enseignement universitaire a toujours représenté un attrait certain pour moi. Ainsi, en parallèle de mon contrat doctoral, j’ai pu obtenir une mission qui me donne la possibilité d’appréhender les différentes facettes de l’enseignement.

Si tu devais choisir une esquisse, une tapisserie ou une tenture de ton corpus, ce serait laquelle ? Tu peux rapidement nous la présenter ?

Je choisirais le Modèle de grand alentour à fond jaune pour les Tentures des Métamorphoses de François Boucher (1703-1770) exécuté par Louis Tessier entre 1770 et 1775 et conservé au Mobilier national. Ce carton est révélateur à mon sens d’un certain nombre de questionnements et de difficultés qui traversent mon sujet de recherche. Composition en cinq lés de différentes dimensions, elle était initialement destinée à remplacer les alentours conçus par Maurice Jacques pour Boucher mais a été finalement réemployée pour l’un des retissages de la Tenture de Don Quichotte d’après Charles Coypel (1694-1752), aujourd’hui visible au musée du Louvre. On observe dans cette œuvre autant l’évolution du statut du peintre-cartonnier au cours du siècle que les problématiques d’identification et de datation des tapisseries, des tentures et de leurs modèles. D’une part, ce modèle de Louis Tessier illustre la place de plus en plus importante du peintre-cartonnier au cours du XVIII^e dans la conception et la réalisation des modèles des alentours. Connu pour être un peintre de fleurs des Gobelins, Louis Tessier fut chargé une première fois de renouveler le carton pour les tissages de Don Quichotte entrepris dans les années 1760 dans l’atelier de Jacques Neilson. Puis, le peintre créa en 1778 cet alentour « entièrement nouveau » à fond jaune pour reprendre les mots de Jean Vittet, qui connut également un grand succès. Cette thèse sera l’occasion d’étudier et de s’interroger sur la formation de ces peintres, sur leur indépendance supposée et sur la place qu’il convient de leur accorder dans le processus de création d’une tenture. D’autre part, ce modèle de grand alentour illustre les difficultés possibles d’identification et de datation des cartons peints. Entre 1715 et 1794, la Tenture de Don Quichotte d’après Coypel connu un succès tel qu’entre six ou sept variantes de modèles d’alentours furent exécutés afin d’accompagner les quelques deux cents tapisseries de cette épopée moderne. Néanmoins, le modèle de Tessier ne fut pas conçu à l’origine pour la Tenture de Don Quichotte mais pour un retissage de la Tenture des Métamorphoses d’après Boucher. Ainsi, ce sujet favorise une approche plurielle s’appuyant à la fois sur des sources archivistiques, matérielles et visuelles pour retracer le fil de la production artistique de la Manufacture royale des Gobelins de sa réouverture en 1699 à 1794, date de sa réorganisation administrative et politique.

Merci beaucoup pour cet entretien ! Pour finir, si on veut te suivre sur les réseaux sociaux ?

Vous pouvez me suivre sur Instagram (@eli_saberard) et LinkedIn (Elisa Bérard) !

---

---